« Coucou beauté ça va » c’est l’éleveur voisin qui m’envoie ce sms, il est 8h du mat’.
Hier, on s’est rencontré par hasard, et comme nos troupeaux vont se croiser sur le quartier d’août, je lui ai passé mon numéro pour qu’on puisse s’organiser au cas où. 30 secondes après avoir démarré son gros 4×4, il m’écrit un sms, sûrement très spontané, et sûrement au volant « j’étais loin de me douter qu’il y avait une si jolie bergère … » avec un emoticone clin d’oeil 😉
Ok. rien de grave, c’est « juste un compliment » mais je réponds quoi moi?
Pas le temps de réfléchir trop longtemps, un deuxième sms : « le prends pas mal, c’est loin d’être méchant » Bon, je réponds un truc un peu sec mais excusant, j’écris « pas de soucis »
Trop nul comme réponse ! Je voudrais avoir de la répartie. Je repense a tous les stage d’auto-défense féministe que j’ai fait… Allez, la punchline là… On est dans une relation éleveur – salariée, ça craint ! Encore une situation inappropriée et insistante. Et voilà le téléphone bip à nouveau : « Si tu as un copain je voudrais pas foutre la merde quoi » Ho mais il est zinzin lui ! Y a encore des gars qui pensent que si tu as pas de mec, tu es dispo ?! Il est 21h, je réponds rien de plus, y va bien me lâcher celui-là. Mais voilà, ce soir, je ferme quand même ma porte à clé, solo dans ma cabane isolée mais bien accessible par la route.
Le lendemain matin , 8h30 « coucou beauté ça va », il m’a appelé beauté ! Ca fait pas 24h qu’il a mon numéro et déjà 4 sms du genre. Je suis furieuse ! Bon , pas de punchline, mais une réponse claire et ferme : « salut, j’ai donné mon numéro pour être dispo pour ce qui concerne l’estive, et je ne suis pas d’accord pour être contactée en dehors de ce qui concerne le travail. Je ne suis pas intéressée et j’aimerai qu’on en reste là, bonne journée. »
Voilà c’est un témoignage assez banal, qui met en lumière la vulnérabilité que l’on subit quand on travaille isolées : sur des exploitations agricoles – ou en alpage. Il y a des employeurs, ou des voisins, ou encore des binômes, qui se permettent des avances de manière insistantes. Je vomi ce fantasme de la bergère toute seule qui attends qu’on lui rende une petite visite. Combien de fois on m’a dit au village « ha, c’est toi la bergère, je passerai te voir à la cabane ! »
« bien sur que non, je ne souhaite pas de ta visite ! »
Ni de tes regards lubriques !
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Bergère – Au chômage
Je garde en montagne tous les étés depuis 5 ans.
Entre la formation, et la recherche de mes premiers contrats, la recherche d’un logement a été compliquée, contrats précaires, revenus modestes, des chiens a loger avec moi… Et pour bosser toute l’année, il faudrait bouger toute l’année.
Comme d’autres, j’ai envisagé l’achat d’un camion. Pour me déplacer au gré des contrats. Mais merde, j’ai déja pas de douche 5 mois sur 12 !
Ou je bosse, il n’y a pas de travail I’hiver. Pas de travail de garde en tout cas. Les brebis ne sortent pas. Le travail de ferme existe, mais en plus d’être très mal payé, il est rare, les volumes horaires sont faibles. Au final ca veut dire travailler 6j/7, pour gagner l’équivalent de mon chômage, lorsque j’y ai droit.
Bien sur, il reste la restauration, les stations de ski… Tout ce qui n’est pas mon métier. Tout ce qui m’oblige a regarder – hiver compris – l’industrie touristique tout engloutir en silence.
J’ai essayé tout ca. J’ai bossé en exploitation. Je suis partie l’hiver pour garder des brebis
ailleurs. J’ai bossé dans le restau du coin. A la fin j’étais toujours aussi pauvre. Pauvre et isolée en prime.
Je pourrais vivre dans un coin moins isolé, pourquoi j’habite ici ? Parce qu’on est a côté de « ma
montagne’. Et moi j’aime bien rentrer a la maison de temps en temps pendant l’estive. J’en ai besoin et je peux le faire parce qu’on bosse a deux. Toutes les deux semaines, je prends 2 jours. Et ca m’aère le cerveau. Sans ca je craque.
Certains collègues ne descendent jamais. C’est souvent parce qu’ils ou elles n’ont pas le choix : si tu
n’es pas remplacé.e, tes repos ne serviront a rien. Quand tu rentreras tu vas prendre trop cher. Autant rester et travailler gratos, Autant repousser ses limites toujours plus loin et mettre ca derrière l’autocollant de la passion.
Tout ca pour dire que j’habite loin de tout. J’habite loin de tout pour tenir bon l’été. J’habite loin de tout pour étre disponible pour mon employeur. Loin de tout aussi parce que le loyer n’est pas cher.
Loin de tout, il n’y a généralement pas de travail l’hiver. Alors les mêmes employeurs, ceux qui ne
me proposent rien, ca les turlupine. Ca turlupine tout le monde. « Qu’est-ce que vous faites
I’hiver? ». Si on parle de chômage, les gens sont d’abord perturbés. Ensuite ils inventent une histoire autour de la « précarité choisie » … Je n’ai rien choisi du tout. C’est aussi parce que l’été me déglingue que je refuse d’en chier autant l’hiver. Si je travaillais dans de bonnes conditions, si on me proposait un travail décent pendant les saisons hivernales, bien évidemment que ca m’intéresserait ! Qui « choisit » de vivre avec 10 ou 12000 euros par an ?
Bref, parmi toutes les choses que jai essayées, il y a aussi « passer I’hiver au chomage ». Une saison, j’ai tenu avec moins de 600 euros par mois. Wow quelle liberté ! Si javais vécu seule je n’aurais jamais réussi. Dans ces cas la mieux vaut ne pas vivre avec un tyran… Parce que « partir » avec si peu
d’argent, c’est du domaine de l’impossible. Je ne vis pas avec un tyran. J’en ai de la chance. Et si ta
voiture flanche, bon courage dans ton trou paumé. De réforme en réforme, et en fonction des hivers précédents, les montants qu’on peut percevoir varient.
L’hiver dernier je gagnais presque 900 euros ! BOUUUUUUUUM ! Je me suis acheté un range
rover direct (non je déconne) !
Le même hiver, on m’appelle : « y a bidule qui cherche quelqu’un”. Bidule il habite dans le même village que moi. A 10 km mais le même village. Moi j’avais déjà plein de plans pour l’hiver. Parce que quand je ne « travaille” pas, je milite. Quitte a bosser gratos autant que ca serve… Donc quand on m’a dit ca, et sachant qu’il s’agissait de bosser 25h semaine au SMIC, je me suis dit « c’est mort ». Le service remplacement m’a relancée. Bidule m’a relancée. Bidule en a parlé a mon employeur actuel (tout le monde se connaît), qui m’a aussi appelée. Et lui il m’a dit – a peu de choses prés – que cette fois j’avais pas d’excuse, qu’il fallait aller bosser. Je lui ai dit “je vais gagner la même chose qu’au chômage” (la bonne réponse était « merde”, mais jai bafouillé). Il m’a soutenu que non, mais il s’en foutait complètement, il voulait juste me voir bosser.
La suite logique c’est de dire a tout ce petit monde daller au diable et de vivre sa vie. Ben vous savez quoi ? J’y suis allée. Je suis allée bosser. J’ai appelé le service remplacement, j’ai vu que je gagnais un peu plus qu’au chômage. Mais le « plus » en fait c’était mes frais de déplacement… La vérité c’est que ce sont la honte et la culpabilité qui m’ont envoyée Ia bas. J’ai pas gagné un radis. Ma bariole a pris des bornes. Je me suis baisé le dos et pourri les poumons avec son foin poussiéreux. J’ai foutu en l’air mes journées pour bosser 4h par jour. Juste parce que dans notre petit coin ou tout le monde sait tout, j’ai pas assumé de dire non a Bidule. J’ai joué mon rôle de petit valet de ferme serviable. J’ai été une gentille fi-fille. Plus jamais. La prochaine fois tant pis, j’encaisserai le mépris. Celui de nos voisins, de nos patrons, de nos collègues parfois…, celui de France Travail. Et le flicage qui va avec.
Soulagée ? Pas vraiment.
Ouvrier d’élevage
Hiver 2007, jeune ouvrier agricole en Aveyron, j’avais 18 ans. Après 3 mois de boulot sur la ferme, je décidais de partir. Quand je dis 3 mois, c’est 3 mois complet sans un seul jour de repos. Car j’avais 18 ans et pas de permis, j’étais logé sur place et j’habitais trop loin pour revenir chez moi.
Sans jamais m’inviter chez eux, mon couple de patron me logeait dans une des vielles dépendances de la ferme et me nourrissaient de roquefort, de saucisse et de pain. Ils me laissaient ce paquet nutritif tous les jours devant ma porte comme on fait a un garçon de ferme d’un autre temps où a un taulard d’aujourd’hui.
Mon job c’était de nourrir les bêtes, les traire matin et soir, puis dans l’intervalle faire des travaux des champs en tracteur, faire du bois où n’importe quoi d’autre pourvu de pourvu de pas être inactif.
Pendant 3 mois l’interaction principale que j’ai eu avec mon patron, c’est lui qui me disait que tout ce que je faisais je le faisais mal. quand bien même c’était des choses qu’il était bien content de ne pas avoir a faire.
Il me disait que même son fils de 3 ans de moins que moi savait mieux faire le job. Mais son fils était pas là parce que c’était un petit con qui s’était barré de la ferme pour faire un internat au lycée. Qu’il était très bon en maths et qu’il voulait partir a la ville… Avec un père pareil tu m’étonnes.
Bref un matin j’en pouvais plus et j’ai dit a mon patron que je partais le soir. Il est tombé des nues tellement j’avais passé tant de semaines a être corvéable a merci.
Le soir en question, pour la première fois depuis 3 mois il m’a fait un sourire et pour la première fois depuis 3 mois il m’a invité a rentrer dans sa cuisine. Il m’a servi un pastis, m’a invité à m’assoir a sa table dans un air bizarrement cordial et m’a demandé combien je voulais de salaire. J’ai été très étonné car j’avais postulé a une annonce ANPE qui parlait de smic et je m’attendais plus a une remise de cheque sans discussion qu’à une négociation autour d’un pastis. J’ai pas su quoi répondre… J’ai parlé timidement de l’annonce et d’un SMIC a 35h (alors qu’en réalité j’en faisais plutôt 60). Il m’a répondu que j’étais pas assez compétent pour me payer comme convenu, et il me proposait de me donner 300 euros par mois. En même temps, sa femme d’une bienveillance indécente me remplissait un sac avec du saucisson, du roquefort et du pain en me disant : « c’est pour la route ! »
Je détestais ces gens mais ils avaient malgré tout réussi à me faire croire que j’étais encore plus un mauvais ouvrier agricole qu’eux étaient des propriétaires et des patrons sans scrupules. Alors j’avais accepté leur deal du haut de ma naïveté.
J’avais la rage. J’avais peut être mal travaillé mais j’avais travaillé quand même.
Je partais de chez eux, traversais la ferme dans la brume nocturne pour rejoindre la départementale et faire du stop pour rallier les 200 km qui me ramenaient chez ma mère, un chèque de 900 balles dans la poche et une boule de 900 kilos dans la gorge. Juste avant d’arriver a la nationale, je croisais le tracteur Landini flanbant neuf qui vallait je sais pas combien de milliers de fois la thune que j’avais en poche. Mais en poche. J’avais aussi un Opinel que j’avais appris a affûter malgré toute la nullité présumé de mes ex employeurs. J’ai crevé un pneus puis j’ai commencé à faire du stop.
Aujourd’hui j’ai 36 ans et je suis toujours ouvrier agricole et je crève moins de pneus, mais malgré tout ce qu’on m’a fait croire je sais ma valeur.
Aujourd’hui je suis toujours ouvrier agricole mais je sais que j’ai plein de potes qui vivent la même chose que moi et qui veulent se battre.
Aujourd’hui on s’organise. on se défend face au mépris et on essaye d’attaquer face a l’exploitation.
Aujourd’hui je suis toujours exploité, mais moins naïf et plus combatif.
Vacher
C’est le début de saison, j’arrive à la cabane, les souris ont chié partout.
J’allume la lumière et l’électricité ne marche pas. Fais chier, je vais temporiser, me servir un verre d’eau, mais je me rends compte en tournant le robinet que l’eau ne coule presque pas.
À la base j’étais content d’arriver à la montagne, mais au bout de 5 minutes j’ai déjà envie de me barrer. Je démonte le robinet et je trouve plein de bestioles mortes dedans. Maintenant l’eau coule mais j’ai plus envie de me servir un verre.
Je sors de la cabane et marche 30 minutes pour trouver du réseau et appeler mon patron.
Il décroche et je lui raconte que la cabane n’est largement pas prête. Il me répond qu’il a pas le temps parce qu’il est en train de charger les vaches dans le camion qui me les amène au bas de la montagne dans quelques heures.
Il me dit de voir avec la commune du village car c’est elle qui gère mon logement, puis il raccroche.
En fait ici c’est un hébergement saisonnier où je vais vivre 5 mois. Peu importe que ce soit la commune ou qui que ce soit d’autre qui gère ce logement.
C’est à mon patron de s’en occuper pendant l’hiver. D’appeler la commune à l’avance pour s’assurer de mes conditions de travail à moi, son salarié qui va entretenir son capital pendant presque une demi-année.
En rentrant à la cabane je rumine. Je pense à tout ce qu’il me laissera pas le temps de me plaindre de cette histoire de cabane.
Il va d’abord me parler des trucs que j’ai à faire cet été. En prenant un temps pour pleurer sur le fait que je lui coûte trop cher, qu’il doit rembourser l’emprunt de son troisième tracteur rutilant tout en étant adossé à mon vieux fourgon moisi de 1991 dans lequel mes affaires de l’été seront restées bloquées en attendant que je rende ma cabane salubre.
De retour à ma cabane je me mets à nettoyer.
Au premier placard que j’ouvre, dans une de mes casseroles, je tombe sur des bébés souris dans leur nid.
Pour pas que ça prolifère je devrais les buter vite fait bien fait.
Mais elles sont choupi les bébés souris et en vrai la seule chose que j’ai envie d’éclater là maintenant, c’est mon patron…
Vachère
Je suis vachère.
Je finis une saison et donne parole pour revenir l’année suivante.
On se met d’accord pour quelques améliorations avec les éleveurs. Entres autre :
L’achat d’un véhicule de travail, adapté à la piste et aux chargements de matos, pour éviter l’utilisation de mon véhicule perso. Et mise en place d’une cuve alimentaire au captage d’eau pour remplacer la vieille citerne de fosse sceptique faite d’ un plastique des années 30 qui s’effrite.
Ravie de ces nouvelles conditions, j’arrive sur l’alpage en pleine forme, et très enthousiaste. Une nouvelle saison qui commence en joie. En route, j’appelle le président du groupement pour lui donner mon heure d’arrivée. Il me dit « appelle truc-muche, c’est lui qui a les clés de la cabane ». J’appelle truc-muche, mais il ne réponds pas. J’appelle l’autre truc-muche du groupement, pas de réponse. Je passe les villages, et décide d’aller jusqu’à la cabane, me disant que l’un d’eux doit bien y être, ils se sont coordonné j’imagine. Ha ben non, personne. Bon, j’attends un peu, rappelle. Personne réponds. Je suis là devant la porte, voiture chargée, fatiguée de la route, et sachant que j’ai des heures de ménage qui m’attendent. Je suis déjà dépitée de ce peu de considération. C’est presque humiliant. Au bout de 3 heures je contacte la mairie et leur demande s’ils ont un jeu de clé, les éleveurs n ‘étant pas joignable. Et heureusement, car j’aurai pu attendre encore longtemps, ils ne m’ont rappelé que le lendemain.
J’ouvre la porte, les volets, le robinet. Pas d’eau.
Les travaux sont en cours. L’entreprise qui me dit « ha, on nous avait dit que vous arriviez plus tard » ha ben non, je suis là. Sans eau. Alleeeez, prends ton bidon, va au village.
Bon y a pire dans la vie, je relativise ! Et puis, c’est quand même en cours, ça arrive, ça arrive…
Le véhicule aussi va bientôt arriver… Il l’ont acheté mais faut encore aller le chercher, il est pas dispo. Donc je commence le taf avec ma caisse. Allez, charge et décharge le sel, les piquets, les clôtures et tout , t’as pas le choix de toutes façon.
Les premières vaches arrivent. Au premier déchargement, déjà deux blessées, ça saigne, c’est rouge, y’a les mouches. Je râle « on monte pas des bêtes blessées, moi pour les soigner ici, je leur court après ». Vous montez en alpage un troupeau sain, et on vous rends un troupeau sain. La base.
D’ailleurs la pharmacie n’est pas prête non plus. Reste un fond de bombe de l’an dernier et un vieux shotapen. Par contre j’ai mille seringues, va savoir pourquoi, ça y en a toujours ?!
Ça commence comme ça. A chaque fois, à chaque saison ça commence comme ça putain.
Même quand tu crois avoir (enfin) trouvé un plan correct. Tu arrives, rien n’est prêt, Huit mois sont passés mais rien n’est prêt. Nous, on arrive, ça fait des mois qu’on se prépare. On est là, tout est prêt. On a racheté nos équipements, soigné nos caries, fait des listes, réparé la bagnole pour arriver à temps et à destination, dressé nos chiens, fait nos courses de base… etc…
Et comme chaque fois, au lieu de démarrer autonome et satisfaite, dans les conditions définies ensemble, dans le cadre posé en amont, ben non, on trime. Alors, on appelle déjà, on vous sollicite et çà fait chier. «On est d’accord, le gaz et les croquettes c’est à votre charge ? Non je demande parce que y’en a pas. » On reste dans l’attente de réponses. Vos réponses toujours vagues. Et celle qui revient chaque début de saison « haaa j’peux pas j’ai les foins » Et moi putain, j’ai les nerfs.
Et on connaît la suite : A la fin du mois de Juin, quand on recevra notre premier bulletin de salaire, on vous appellera pour vous dire « y’ a une erreur sur la fiche de paie », et vous nous répondrai « je sais pas c’est pas moi, faut voir avec la comptable », comme d’hab.
Allez, encore une saison à passer.
Chevrière – Mépris de classe
Je travaille sur une ferme, depuis plusieurs années.
Peu à peu, les éleveurs l’abandonnent et soignent les bêtes de plus en plus mal.
Il y a beaucoup de mortalité, beaucoup de boiteuses.
Des charognes laissées sous le fumier et ressorties par un animal qui puent, d’autres plus fraîches qui gonflent en attendant l’équarrissage.
Cette année, alors que je n’ai pas été augmentée suite à l’augmentation du SMIC (je gagne un peu plus), on m’a plusieurs fois dit que je coûtais trop cher, qu’il ne fallait pas que ma journée coûte plus que le foin qui est mis quand je m’absente.
La maison de l’éleveur surplombe la ferme, et cet hiver il s’est fait construire une piscine sur la terrasse.
En ce moment, je travaille au milieu des bêtes mortes dans la poussière et la chaleur, et pendant ce temps lui il se baigne avec sa femme et ses enfants, ses amis qui viennent prendre l’apéro.
Il m’épargne de me saluer, il m’ignore quand il est dans l’eau.
Je coûte trop cher mais le mépris de classe ça n’a pas de prix.
Bergère – Entretien d’embauche
Hier, j’ai passé un « entretien d’embauche », et tant que c’est frais, je me suis dit qu’il fallait que ce soit relaté.
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Je suis actuellement en pleine recherche d’estive et hier j’ai été visité une montagne. J’avais rendez-vous avec un éleveur pour qu’il me présente « le poste ». Avant d’y aller, je prends conscience que je ne postule pas en tant que simple individu mais que j’y vais en tant que femme, grosse. (je n’ai aucun problème avec le terme « grosse », et, même, j’y tiens !)
Bref. En tant que grosse, m’habiller pour visiter une montagne (et donc marcher et faire du dénivelé), est une affaire des plus compliquées. J’ai essayé 12 tenues. D’abord, il me faut un t-shirt noir : je transpire énormément et avec du noir on voit moins que mon t-shirt est trempé. Je n’ai pas juste un front « luisant », non, moi j’ai le genre de sueur où chaque goutte qui tombe dans mes yeux m’aveugle et me brûle comme si je venais de me verser un litre de shampoing dans chaque œil. Et comme je complexe de suer d’un effort physique (voyez donc là toute l’ironie !) je m’assure d’avoir un bandeau dans les cheveux pour qu’on ne voit pas que mes cheveux sont trempés comme s’il pleuvait des cordes alors qu’en réalité il fait grand beau. Je garde aussi toujours mes lunettes de soleil (ou évidemment je ne vois rien puisqu’elles sont embuées en 2 secondes) pour qu’on voit le moins possible mon visage et mes gouttes qui perlent autour de mes yeux. Il me faut aussi un mouchoir dans ma main, comme ça, ni une ni deux, je m’essuie le front dans l’espoir que l’éleveur ne verra pas ma sueur : je n’ai encore rien trouvé pour cacher ma rougeur – si quelqu’un à des tips, je suis preneuse ! Puis, il faut que mon t-shirt soit en XXL afin qu’il ne colle pas au corps : j’évite d’avoir encore plus chaud et je « cache » mes bourrelets. Il faut aussi que mon t-shirt couvre mes fesses, parce que je suis une femme et que j’ai un beau boule. Trêve de plaisanterie, je suis une femme : je n’ai même pas besoin de développer la sexualisation de mon corps.
Ensuite, je dois mettre un legging parce que les pantalons de rando n’existent pas dans ma taille : je fais 1m49 pour 75 kilos, je crois que les ingés de Décathlon n’avaient pas pensé à cette éventualité. Je fais aussi attention à ce que mon legging ne soit pas troué, je ne veux absolument pas passer pour une « punk à chien » auprès de l’éleveur.
Arrive le moment de me préparer à manger, l’éleveur a prévu qu’on pique-nique à la montagne. Là encore, c’est une torture. De manière générale, j’ai honte de manger devant les autres, mais encore plus quand il s’agit de mon employeur. Je ne prends pas de trucs trop gras pour ne pas me sentir jugée mais j’essaie quand même de montrer que je connais les codes de la convivialité à la montagne : je pars sur un bout de saucisson et du fromage à partager.
On me dit souvent que je me focalise trop sur mes complexes, que je ne devrais pas faire autant attention au regard des autres. A titre personnel, je ne connais aucun homme dans mon entourage qui manque de confiance en lui. En revanche, la quasi-totalité des femmes de mon entourage, oui. Alors, j’estime que mes complexes ne sont pas apparus d’eux-mêmes, ils sont sociétaux, et, de ce fait, il me semble qu’ils sont légitimes, peu importe la façon que j’ai de les vivre. Témoigner de ma préparation laborieuse pour un « entretien d’embauche » me semble révélateur de la brutalité avec laquelle j’anticipe, puis, vis, mon corps à travers le regard de mes employeurs, et disons-le, des hommes, puisque je travaille uniquement pour des hommes.
Me voilà donc partie pour visiter la montagne après 4h de route qui, bien sûr, ne me seront pas défrayées. L’éleveur arrive quelques minutes après moi. C’est un homme de 49 ans, environ 1m80 et que j’ai jugé « athlétique ». Tout de suite, le stress m’envahit : je sais que je vais morfler à le suivre. Ça ne loupe pas, on fait 840 m de dénivelé positif en 50 minutes. A titre informatif, je mets habituellement 2h à faire 1000 m de dénivelé.
Arrivés à la cabane, tout fier de lui, il me dit « bon là ça va on l’a fait tranquilou ». Évidemment qu’avec ta paire de grosses couilles tu n’allais pas me dire que toi aussi tu en avais chié à me tester ! Pendant la montée il m’a quand même demandé si « ça allait le rythme de marche ». Qu’aurais-je dû répondre ? Que j’étais sur le point de crever ? Que j’ai cru faire 3 arrêts cardiaques et que j’avais besoin d’une pause pour reprendre mon souffle et boire ? Aurait-il conclu que cette petite grosse ne tient pas la route ? Ou bien qu’évidemment, les femmes marchent moins vite que les hommes ? Je ne voulais pas une fois de plus me faire juger, alors, en apnée, je lui ai juste répondu « non ça va, TRANQUILLE ». Suis-je moi aussi rentrée dans le jeu de qui a la plus grosse paire ?
Un jour, un kiné m’a dit que quand je randonnais avec quelqu’un qui n’était pas dans une situation de surpoids, cette personne portait seulement son sac de rando. Quant à moi, je portais l’équivalent de 2 machines à laver sur le dos. Et pendant toute la monté, je m’imaginais tirer mes 2 putain de machines à laver, et je rêvais d’y enfermer l’éleveur en cycle rapide.
On arrive à la cabane. Pour une fois, elle est géniale. Enfin, pardon, elle est tout ce qu’on attend d’un hébergement digne. Il y a une partie randonneur ouverte à l’année qui est elle aussi très bien équipée. L’éleveur me dit que les éleveurs montent environ une fois par semaine et qu’ils dorment à la cabane. Il me précise que l’ancienne bergère ne voulait pas dormir avec eux alors elle montait dormir dans la cabane d’urgence de 8m carré. J’ai trouvé ça vomitif. Chassée de son propre logement, alors que la partie randonneur est accessible aux employeurs. Plus j’observe la cabane, plus je vois les affaires des éleveurs : leurs vêtements, leur placard de bouffe, la photo de groupe des éleveurs devant la cabane. Tout ça m’interpelle, ça n’aurait jamais été le cas 4 ans auparavant, quand j’ai commencé. On entend souvent nos employeurs dire qu’ils sont « chez eux » dans les cabanes. Du temps où les troupeaux n’étaient plus gardés, ils y passaient la nuit de temps en temps, quand ils montaient « ramasser ». Les espaces sur lesquels on bosse, les éleveurs les fréquentent depuis longtemps. Ils racontent qu’ils montent ici depuis qu’ils sont gosses et qu’en tant que résidents de leur commune, ils sont « ayants-droits » de ces espaces. Ils se sentent chez eux. Et c’est comme ça qu’ils le présentent bien souvent. Je me suis construite dans le métier avec cette idée-là. La présence des éleveurs n’est jamais présentée (par eux-mêmes) comme potentiellement intrusive. C’est vu comme une normalité.
On visite l’estive. Il me dit qu’à son sens « le travail ici n’est pas difficile ». Il m’explique aussi que l’ancien berger refusait de faire certaine chose sur la montagne et me il dit avec assurance : « vous êtes tous comme ça, à être têtus et à vous la couler douce à la cabane ? ». Tout en ravalant mon vomi, je tente d’en savoir un peu plus. Je lui demande combien de fois il est monté sur la montagne pendant la saison, il me répond « 3 fois ». Je me demande comment il peut en déduire que le berger se « la coulait douce » à la cabane en étant monté si peu de fois dans la saison ? Quelle question ! L’éleveur habite en bas et il scrute aux jumelles tous les jours. Et à travers ses jumelles Swarovski à 800 balles il a l’intime conviction de savoir tout ce qu’il se passe là-haut.
Il me sort le discours habituel : « c’est dur de trouver un bon berger », ce à quoi je réponds : « c’est vrai que vous êtes tous des supers éleveurs ». Je lui dis que je ne critiquerais jamais mes collègues, et qu’il pouvait donc arrêter ça avec moi. C’est la seule chose que j’ai réussi à affirmer d’ailleurs.
Nos salaires sont subventionnés à 80% par l’État, à cela s’ajoute des primes pour les zones Natura 2000, les MAE (mesures agro-environnementales), etc. Ce qui fait très peu de reste à charge pour les éleveurs qui nous embauchent. (Existe-t-il d’autres métiers financés par l’État sans avoir le statut de fonctionnaire ?). Je trouve que les éleveurs sont assez éloignés de leur statut d’employeurs… Je m’explique. J’ai parfois l’impression d’être perçue comme une prestataire de service : à l’instar d’un artisan, je ne dois pas compter mes heures (bien sûr : métier passion). Les éleveurs sont complètement déconnectés à l’égard de mon statut de salariée. La plupart de nos employeurs n’ont jamais été salariés : quelle conscience ont-ils donc des jours de repos, des congés payés, de l’accès à l’eau potable ?
Je bichonne une partie de leur capital pendant 4 mois et demi et, à ce titre, je dois leur rendre des comptes. Et pourtant, en faisant mes calculs, cette année, le plus gros éleveur pour qui je travaillais ne payait que 420 euros pour mes salaires pendant 4 mois et demi. Comment peuvent-ils donc tirer nos salaires toujours plus bas, quand, selon moi, pour eux, il s’agit d’argent de poche ?
Je parle du salaire parce que c’est un des aspects importants de la montagne que j’ai visité : si j’accepte le poste, je perds 470 euros de mon salaire actuel. Mon expérience professionnelle est allègrement piétinée car, ici, le « travail n’est pas difficile ». Or, j’arrive d’une montagne réputée « difficile » et je sens cette casserole va donner l’occasion aux éleveurs de me faire croire que leur estive est plus facile, qu’il y a moins de travail et donc que mon salaire d’avant n’est plus justifié. Quelle honte… Pour moi, il l’est encore plus !
L’éleveur continue de me parler des « bons et des mauvais bergers » (il ne le féminise d’ailleurs jamais), et bien sûr, lui sait pertinemment ce qu’est un bon berger. Lui qui n’a jamais pratiqué le métier est persuadé d’être un berger ! Je me sens si seule face à lui. Face à eux. Je me fais la réflexion que rare sont les entreprises où les employeurs sont plus nombreux que les salariés. Sur cette montagne, il y a 7 éleveurs, donc 7 employeurs pour un.e seul.e salarié.es : comment bâtir un rapport de force ? Comment lutter contre l’isolement ? Comment lui dire que je commence à me rendre compte que quand on me parle de « mauvais bergers », ce sont peut-être des camarades qui ont refusé de se soumettre ?
À midi, on sort nos pique-niques. Comme une conne, j’avais acheté du saucisson et du fromage à partager. Lui, il avait acheté son sandwich. Et tout en mangeant il me dit « si on s’entend bien avec le berger, quand on monte ça nous arrive de lui monter des œufs ou deux trois bricoles ». Dois-je donc être une « bonne » bergère pour mériter les œufs de tes poules que tu n’as même pas eu à acheter ?
J’ai passé cette journée avec un éleveur que je considère « soft ». Pas un vieux de la vieille. Disons que c’était moins pire que d’habitude. J’aurais pu percevoir tout ça comme des détails, un couplet habituel et ne pas le prendre à cœur. Parce que, qu’on se le dise, cette journée n’était rien comparée à d’autres situations vécues et subies. Mais à défaut d’avoir réussi à lui transmettre ma colère, je me défoule ici.
A la fin de la journée je l’ai même remercié de m’avoir fait visiter la montagne. Pourquoi ? Parce que c’est tellement rare que les éleveurs prennent ce temps. Un ouvrier de production remercie-t-il le chef de ligne de lui avoir expliqué son poste de travail ?
Le plus triste dans tout ça, c’est que cette estive figure dans les premières où je serai susceptible d’accepter le poste l’an prochain…
10 Septembre – Les SGT non plus ne veulent plus
Suite logique de l’offensive néo-libérale à l ‘oeuvre depuis plusieurs décennies, le budget proposé par François Bayrou fait déborder le vase.
Gardiennes et gardiens de troupeaux, nous ne voulons plus !
Nous ne voulons plus renoncer à nos droits, pas plus qu’à la satisfaction de nos besoins
fondamentaux, au profit d’une classe possédante qui ne nous apporte rien !
Nous ne voulons plus d’un gouvernement bourgeois, qui entérine chaque jour le droit du patronat à usurper une part toujours plus grande de la valeur créée par notre travail.
Tout est à nous !
Notre travail est la source de toute richesse. Les exonérations de cotisations sociales, et autres cadeaux fiscaux faits au patronat (petit patronat compris), capturent ces richesses au profit d’une minorité.
Notre niveau de vie est directement impacté.
Les réformes successives de l’assurance chômage ont durement aggravé notre précarité matérielle, comme pour l’ensemble des travailleurs saisonniers.
Nous ne voulons plus travailler gratuitement, dans des conditions toujours plus
dégradées, et pour enrichir une poignée d’individus.
Des contrats de 35 à 44h pour un temps de travail effectif de 60 à 80h semaine ! La moitié de notre temps de travail n’est pas rémunérée. Notre droit au repos n’est pas respecté. Nous logeons dans des taudis. Les accidents de travail se multiplient. Bien travailler, ça coûte trop cher !
La production agricole doit satisfaire des besoins vitaux. Comme toutes les productions essentielles (santé, énergie,,…), elle doit se libérer des injonctions aberrantes du capital.
Nous refusons que le travail blesse, nous refusons que le travail tue.
Notre travail doit nous permettre de vivre dignement, en période d’activité comme en période de chômage.
Pour toutes ces raisons, le SGT-CGT affirme son soutien aux mobilisations
annoncées et appelle ses syndiqué.e.s à rejoindre le mouvement :
grève, soutien de piquets de grève (y compris dans d’autres secteurs productifs), participation aux assemblées, blocages, etc.
Ces mobilisations se présentent comme une occasion de renforcer le mouvement ouvrier en rapprochant l’ensemble des travailleuses et travailleurs.
La construction et le renforcement d’une véritable conscience de classe nous semblent essentiels à l’élévation du rapport de force et déterminants pour la capacité du mouvement à obtenir des victoires significatives.
Aussi, souhaitons-nous voir celui-ci s’affranchir au plus vite de toute vélléité interclassiste, celles-ci n’ayant d’autre effet que le désarmement de la classe ouvrière (entendue comme l’ensemble du salariat).
Travailleuses, travailleurs, unissons nous !
Travailleuses et travailleurs agricoles, nous sommes exploités par des patrons qui s’autodésignent « petits ». On leur consent trop facilement ce qualificatif, même à gauche. Ce faisant, on renonce à les situer dans les rapports de production, on renonce à protéger celles et ceux qu’ils exploitent. Le prolétariat agricole est ignoré, piétiné. Nous avons plus en commun avec les camarades exploités chez Bonduelle, Lactalis, Neuhauser,etc. qu’avec des exploitants, même quand ils et elles se disent « paysans ».
En tant qu’organisation de travailleurs et de travailleuses, nous n’accepterons pas de voir nos exploiteurs se hisser au rang des victimes. La défense de nos intérêts de classe doit rester notre priorité.
Lénine écrivait qu’ « une situation prérévolutionnaire éclate lorsque ceux d’en haut ne peuvent plus, ceux d’en bas ne veulent plus. »
En bas, nous sommes déterminé.e.s.

Communiqué commun ABBASP – Clés-ô-pâtres – SGT-CGT a propos du berger foudroyé le 22 août à Prads-Haute-Bléone

Retour sur Massif Attaque – Télédraille
La création du SGT-Cévennes, Syndicat des Gardien.ne.s de Troupeaux a rejoint la dynamique de lutte déjà existante des SGT-CGT. Afin de revendiquer les conditions de travail et pour mettre en lumière la réalité et les difficultés de ce métier souvent idéalisé, une rencontre a été organisée à Saint-Jean-du-Gard sous le nom de Massif Attaque.
Voici la vidéo publiée par Télédraille suite à cette troisième édition de Massif Attaque du 25 au 27 avril 2025.
Voir la vidéo sur le site de Télédraille
