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La France Agricole – Les bergers soumis à des conditions de travail « d’une rare violence »

Voici un article publié sur le journal La France Agricole par Johanne Mâlin, le 29/10/2025

Le syndicat de salariés CGT a publié pas moins de soixante exemples de conditions de travail « catastrophiques » des gardiens de troupeau réclamant d’urgence leurs améliorations.

« Fausses fiches horaires » à signer obligatoirement, journées de 16 heures « sans interruption », contrats de travail « remis tard et qui ne correspondent pas à ce qui a été annoncé », logements « sans eau potable », absence de véhicule, multiples accidents, intimidations, humiliations par les éleveurs…

Pas d’accord spécifique

Les gardiens de troupeaux, s’indignent, par le biais du syndicat de salariés, de l’absence d’accord spécifique pour ces salariés particuliers « dont les conditions de travail, d’emplois et d’accueil sont catastrophiques ». Ils dénoncent comme problèmes majeurs : la reconnaissance salariale ou plutôt son absence, quand « l’immense majorité des gardiens de troupeau sont payés au SMIC alors même qu’on est en autonomie » et « la question du temps de travail très très très loin d’être respectée », dénonce Lisa, gardienne de troupeau et membre du syndicat dans la région, interrogée par La France Agricole. Au total, la FNAF-CGT énumère près de soixante exemples de problématiques rencontrées par les gardiens de troupeaux.

Convention collective non appliquée

Bien qu’ils dépendent de la convention collective pour les salariés agricoles et les Cuma, « pour nous [gardiens de troupeau], elle n’est pas appliquée », déplore Lisa.

Le syndicat de travailleurs a rappelé qu’un accord national pour améliorer les conditions de travail des bergers était en bonne voie… Jusqu’à ce mois-ci : « annulation pure et simple des négociations. » S »indigne le syndicat. La cause avancée par la FNAF-CGT ? Un tract diffusé aux assises du pastoralisme qui faisait état des problématiques rencontrées par les bergers dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui n’aurait pas plu à la FNSEA.

De son côté, le syndicat patronal assure qu’il n’arrête pas « toutes les négociations », explique Jérôme Volle, vice-président du syndicat en charge de l’emploi, mais seulement celle sur la question de la rémunération et du temps de travail. « Il faut formuler des demandes appropriées à la situation économique des exploitations », ajoute le viticulteur. Pour lui, un autre problème réside dans l’extension de la dénomination « gardiens de troupeau » aux salariés travaillant proches ou sur l’exploitation. Ce point de discorde entre la FNSEA et la FNAF-CGT serait à l’origine de la suspension des négociations par la FNSEA. Les futures négociations devraient être chapeautées par le ministère de l’Agriculture.

« Zone de non-droit »

La CGT formule trois revendications urgentes :

Abroger toutes les dispositions du Code rural qui dérogent au Code du travail,
Renforcer les contrôles des inspections du travail pour faire respecter les droits sociaux des salariés,
Avoir des accords en production agricole qui améliorent les droits des ouvriers agricoles.

Pour la FNSEA, la FNAF-CGT « demandait plus que [des dispositions du] code du travail ».

« Nous avions établi un cahier revendicatif sur les gardiens de troupeau en faisant état de nos conditions de travail. Dans les faits, nous nous sommes rendu compte que le Code du travail y répondait déjà », assure de son côté Lisa. « Mais on est face à une zone de non-droit de l’agriculture », estime la gardienne de troupeau.

Bergère – Sexisme ordinaire

« Coucou beauté ça va » c’est l’éleveur voisin qui m’envoie ce sms, il est 8h du mat’.

Hier, on s’est rencontré par hasard, et comme nos troupeaux vont se croiser sur le quartier d’août, je lui ai passé mon numéro pour qu’on puisse s’organiser au cas où. 30 secondes après avoir démarré son gros 4×4, il m’écrit un sms, sûrement très spontané, et sûrement au volant «  j’étais loin de me douter qu’il y avait une si jolie bergère … » avec un emoticone clin d’oeil 😉

Ok. rien de grave, c’est « juste un compliment » mais je réponds quoi moi?
Pas le temps de réfléchir trop longtemps, un deuxième sms : « le prends pas mal, c’est loin d’être méchant » Bon, je réponds un truc un peu sec mais excusant, j’écris « pas de soucis »
Trop nul comme réponse ! Je voudrais avoir de la répartie. Je repense a tous les stage d’auto-défense féministe que j’ai fait… Allez, la punchline là… On est dans une relation éleveur – salariée, ça craint ! Encore une situation inappropriée et insistante. Et voilà le téléphone bip à nouveau : « Si tu as un copain je voudrais pas foutre la merde quoi » Ho mais il est zinzin lui ! Y a encore des gars qui pensent que si tu as pas de mec, tu es dispo ?! Il est 21h, je réponds rien de plus, y va bien me lâcher celui-là. Mais voilà, ce soir, je ferme quand même ma porte à clé, solo dans ma cabane isolée mais bien accessible par la route.
Le lendemain matin , 8h30 « coucou beauté ça va », il m’a appelé beauté ! Ca fait pas 24h qu’il a mon numéro et déjà 4 sms du genre. Je suis furieuse ! Bon , pas de punchline, mais une réponse claire et ferme : « salut, j’ai donné mon numéro pour être dispo pour ce qui concerne l’estive, et je ne suis pas d’accord pour être contactée en dehors de ce qui concerne le travail. Je ne suis pas intéressée et j’aimerai qu’on en reste là, bonne journée. »


Voilà c’est un témoignage assez banal, qui met en lumière la vulnérabilité que l’on subit quand on travaille isolées : sur des exploitations agricoles – ou en alpage. Il y a des employeurs, ou des voisins, ou encore des binômes, qui se permettent des avances de manière insistantes. Je vomi ce fantasme de la bergère toute seule qui attends qu’on lui rende une petite visite. Combien de fois on m’a dit au village « ha, c’est toi la bergère, je passerai te voir à la cabane ! »

« bien sur que non, je ne souhaite pas de ta visite ! »
Ni de tes regards lubriques !

Bergère – Au chômage

Je garde en montagne tous les étés depuis 5 ans.

Entre la formation, et la recherche de mes premiers contrats, la recherche d’un logement a été compliquée, contrats précaires, revenus modestes, des chiens a loger avec moi… Et pour bosser toute l’année, il faudrait bouger toute l’année.

Comme d’autres, j’ai envisagé l’achat d’un camion. Pour me déplacer au gré des contrats. Mais merde, j’ai déja pas de douche 5 mois sur 12 !

Ou je bosse, il n’y a pas de travail I’hiver. Pas de travail de garde en tout cas. Les brebis ne sortent pas. Le travail de ferme existe, mais en plus d’être très mal payé, il est rare, les volumes horaires sont faibles. Au final ca veut dire travailler 6j/7, pour gagner l’équivalent de mon chômage, lorsque j’y ai droit.

Bien sur, il reste la restauration, les stations de ski… Tout ce qui n’est pas mon métier. Tout ce qui m’oblige a regarder – hiver compris – l’industrie touristique tout engloutir en silence.

J’ai essayé tout ca. J’ai bossé en exploitation. Je suis partie l’hiver pour garder des brebis
ailleurs. J’ai bossé dans le restau du coin. A la fin j’étais toujours aussi pauvre. Pauvre et isolée en prime.

Je pourrais vivre dans un coin moins isolé, pourquoi j’habite ici ? Parce qu’on est a côté de « ma
montagne’. Et moi j’aime bien rentrer a la maison de temps en temps pendant l’estive. J’en ai besoin et je peux le faire parce qu’on bosse a deux. Toutes les deux semaines, je prends 2 jours. Et ca m’aère le cerveau. Sans ca je craque.

Certains collègues ne descendent jamais. C’est souvent parce qu’ils ou elles n’ont pas le choix : si tu
n’es pas remplacé.e, tes repos ne serviront a rien. Quand tu rentreras tu vas prendre trop cher. Autant rester et travailler gratos, Autant repousser ses limites toujours plus loin et mettre ca derrière l’autocollant de la passion.

Tout ca pour dire que j’habite loin de tout. J’habite loin de tout pour tenir bon l’été. J’habite loin de tout pour étre disponible pour mon employeur. Loin de tout aussi parce que le loyer n’est pas cher.

Loin de tout, il n’y a généralement pas de travail l’hiver. Alors les mêmes employeurs, ceux qui ne
me proposent rien, ca les turlupine. Ca turlupine tout le monde. « Qu’est-ce que vous faites
I’hiver? ». Si on parle de chômage, les gens sont d’abord perturbés. Ensuite ils inventent une histoire autour de la « précarité choisie » … Je n’ai rien choisi du tout. C’est aussi parce que l’été me déglingue que je refuse d’en chier autant l’hiver. Si je travaillais dans de bonnes conditions, si on me proposait un travail décent pendant les saisons hivernales, bien évidemment que ca m’intéresserait ! Qui « choisit » de vivre avec 10 ou 12000 euros par an ?


Bref, parmi toutes les choses que jai essayées, il y a aussi « passer I’hiver au chomage ». Une saison, j’ai tenu avec moins de 600 euros par mois. Wow quelle liberté ! Si javais vécu seule je n’aurais jamais réussi. Dans ces cas la mieux vaut ne pas vivre avec un tyran… Parce que « partir » avec si peu
d’argent, c’est du domaine de l’impossible. Je ne vis pas avec un tyran. J’en ai de la chance. Et si ta
voiture flanche, bon courage dans ton trou paumé. De réforme en réforme, et en fonction des hivers précédents, les montants qu’on peut percevoir varient.

L’hiver dernier je gagnais presque 900 euros ! BOUUUUUUUUM ! Je me suis acheté un range
rover direct (non je déconne) !

Le même hiver, on m’appelle : « y a bidule qui cherche quelqu’un”. Bidule il habite dans le même village que moi. A 10 km mais le même village. Moi j’avais déjà plein de plans pour l’hiver. Parce que quand je ne « travaille” pas, je milite. Quitte a bosser gratos autant que ca serve… Donc quand on m’a dit ca, et sachant qu’il s’agissait de bosser 25h semaine au SMIC, je me suis dit « c’est mort ». Le service remplacement m’a relancée. Bidule m’a relancée. Bidule en a parlé a mon employeur actuel (tout le monde se connaît), qui m’a aussi appelée. Et lui il m’a dit – a peu de choses prés – que cette fois j’avais pas d’excuse, qu’il fallait aller bosser. Je lui ai dit “je vais gagner la même chose qu’au chômage” (la bonne réponse était « merde”, mais jai bafouillé). Il m’a soutenu que non, mais il s’en foutait complètement, il voulait juste me voir bosser.

La suite logique c’est de dire a tout ce petit monde daller au diable et de vivre sa vie. Ben vous savez quoi ? J’y suis allée. Je suis allée bosser. J’ai appelé le service remplacement, j’ai vu que je gagnais un peu plus qu’au chômage. Mais le « plus » en fait c’était mes frais de déplacement… La vérité c’est que ce sont la honte et la culpabilité qui m’ont envoyée Ia bas. J’ai pas gagné un radis. Ma bariole a pris des bornes. Je me suis baisé le dos et pourri les poumons avec son foin poussiéreux. J’ai foutu en l’air mes journées pour bosser 4h par jour. Juste parce que dans notre petit coin ou tout le monde sait tout, j’ai pas assumé de dire non a Bidule. J’ai joué mon rôle de petit valet de ferme serviable. J’ai été une gentille fi-fille. Plus jamais. La prochaine fois tant pis, j’encaisserai le mépris. Celui de nos voisins, de nos patrons, de nos collègues parfois…, celui de France Travail. Et le flicage qui va avec.

Soulagée ? Pas vraiment.

Ouvrier d’élevage

Hiver 2007, jeune ouvrier agricole en Aveyron, j’avais 18 ans. Après 3 mois de boulot sur la ferme, je décidais de partir. Quand je dis 3 mois, c’est 3 mois complet sans un seul jour de repos. Car j’avais 18 ans et pas de permis, j’étais logé sur place et j’habitais trop loin pour revenir chez moi.
Sans jamais m’inviter chez eux, mon couple de patron me logeait dans une des vielles dépendances de la ferme et me nourrissaient de roquefort, de saucisse et de pain. Ils me laissaient ce paquet nutritif tous les jours devant ma porte comme on fait a un garçon de ferme d’un autre temps où a un taulard d’aujourd’hui.
Mon job c’était de nourrir les bêtes, les traire matin et soir, puis dans l’intervalle faire des travaux des champs en tracteur, faire du bois où n’importe quoi d’autre pourvu de pourvu de pas être inactif.
Pendant 3 mois l’interaction principale que j’ai eu avec mon patron, c’est lui qui me disait que tout ce que je faisais je le faisais mal. quand bien même c’était des choses qu’il était bien content de ne pas avoir a faire.
Il me disait que même son fils de 3 ans de moins que moi savait mieux faire le job. Mais son fils était pas là parce que c’était un petit con qui s’était barré de la ferme pour faire un internat au lycée. Qu’il était très bon en maths et qu’il voulait partir a la ville… Avec un père pareil tu m’étonnes.
Bref un matin j’en pouvais plus et j’ai dit a mon patron que je partais le soir. Il est tombé des nues tellement j’avais passé tant de semaines a être corvéable a merci.
Le soir en question, pour la première fois depuis 3 mois il m’a fait un sourire et pour la première fois depuis 3 mois il m’a invité a rentrer dans sa cuisine. Il m’a servi un pastis, m’a invité à m’assoir a sa table dans un air bizarrement cordial et m’a demandé combien je voulais de salaire. J’ai été très étonné car j’avais postulé a une annonce ANPE qui parlait de smic et je m’attendais plus a une remise de cheque sans discussion qu’à une négociation autour d’un pastis. J’ai pas su quoi répondre… J’ai parlé timidement de l’annonce et d’un SMIC a 35h (alors qu’en réalité j’en faisais plutôt 60). Il m’a répondu que j’étais pas assez compétent pour me payer comme convenu, et il me proposait de me donner 300 euros par mois. En même temps, sa femme d’une bienveillance indécente me remplissait un sac avec du saucisson, du roquefort et du pain en me disant : « c’est pour la route ! »
Je détestais ces gens mais ils avaient malgré tout réussi à me faire croire que j’étais encore plus un mauvais ouvrier agricole qu’eux étaient des propriétaires et des patrons sans scrupules. Alors j’avais accepté leur deal du haut de ma naïveté.
J’avais la rage. J’avais peut être mal travaillé mais j’avais travaillé quand même.
Je partais de chez eux, traversais la ferme dans la brume nocturne pour rejoindre la départementale et faire du stop pour rallier les 200 km qui me ramenaient chez ma mère, un chèque de 900 balles dans la poche et une boule de 900 kilos dans la gorge. Juste avant d’arriver a la nationale, je croisais le tracteur Landini flanbant neuf qui vallait je sais pas combien de milliers de fois la thune que j’avais en poche. Mais en poche. J’avais aussi un Opinel que j’avais appris a affûter malgré toute la nullité présumé de mes ex employeurs. J’ai crevé un pneus puis j’ai commencé à faire du stop.
Aujourd’hui j’ai 36 ans et je suis toujours ouvrier agricole et je crève moins de pneus, mais malgré tout ce qu’on m’a fait croire je sais ma valeur.
Aujourd’hui je suis toujours ouvrier agricole mais je sais que j’ai plein de potes qui vivent la même chose que moi et qui veulent se battre.
Aujourd’hui on s’organise. on se défend face au mépris et on essaye d’attaquer face a l’exploitation.
Aujourd’hui je suis toujours exploité, mais moins naïf et plus combatif.

Vacher

C’est le début de saison, j’arrive à la cabane, les souris ont chié partout.

J’allume la lumière et l’électricité ne marche pas. Fais chier, je vais temporiser, me servir un verre d’eau, mais je me rends compte en tournant le robinet que l’eau ne coule presque pas.
À la base j’étais content d’arriver à la montagne, mais au bout de 5 minutes j’ai déjà envie de me barrer. Je démonte le robinet et je trouve plein de bestioles mortes dedans. Maintenant l’eau coule mais j’ai plus envie de me servir un verre.

Je sors de la cabane et marche 30 minutes pour trouver du réseau et appeler mon patron.
Il décroche et je lui raconte que la cabane n’est largement pas prête. Il me répond qu’il a pas le temps parce qu’il est en train de charger les vaches dans le camion qui me les amène au bas de la montagne dans quelques heures.

Il me dit de voir avec la commune du village car c’est elle qui gère mon logement, puis il raccroche.

En fait ici c’est un hébergement saisonnier où je vais vivre 5 mois. Peu importe que ce soit la commune ou qui que ce soit d’autre qui gère ce logement.

C’est à mon patron de s’en occuper pendant l’hiver. D’appeler la commune à l’avance pour s’assurer de mes conditions de travail à moi, son salarié qui va entretenir son capital pendant presque une demi-année.

En rentrant à la cabane je rumine. Je pense à tout ce qu’il me laissera pas le temps de me plaindre de cette histoire de cabane.

Il va d’abord me parler des trucs que j’ai à faire cet été. En prenant un temps pour pleurer sur le fait que je lui coûte trop cher, qu’il doit rembourser l’emprunt de son troisième tracteur rutilant tout en étant adossé à mon vieux fourgon moisi de 1991 dans lequel mes affaires de l’été seront restées bloquées en attendant que je rende ma cabane salubre.
De retour à ma cabane je me mets à nettoyer.

Au premier placard que j’ouvre, dans une de mes casseroles, je tombe sur des bébés souris dans leur nid.
Pour pas que ça prolifère je devrais les buter vite fait bien fait.
Mais elles sont choupi les bébés souris et en vrai la seule chose que j’ai envie d’éclater là maintenant, c’est mon patron…

Vachère

Je suis vachère.

Je finis une saison et donne parole pour revenir l’année suivante.

On se met d’accord pour quelques améliorations avec les éleveurs. Entres autre :

L’achat d’un véhicule de travail, adapté à la piste et aux chargements de matos, pour éviter l’utilisation de mon véhicule perso. Et mise en place d’une cuve alimentaire au captage d’eau pour remplacer la vieille citerne de fosse sceptique faite d’ un plastique des années 30 qui s’effrite.

Ravie de ces nouvelles conditions, j’arrive sur l’alpage en pleine forme, et très enthousiaste. Une nouvelle saison qui commence en joie. En route, j’appelle le président du groupement pour lui donner mon heure d’arrivée. Il me dit « appelle truc-muche, c’est lui qui a les clés de la cabane ». J’appelle truc-muche, mais il ne réponds pas. J’appelle l’autre truc-muche du groupement, pas de réponse. Je passe les villages, et décide d’aller jusqu’à la cabane, me disant que l’un d’eux doit bien y être, ils se sont coordonné j’imagine. Ha ben non, personne. Bon, j’attends un peu, rappelle. Personne réponds. Je suis là devant la porte, voiture chargée, fatiguée de la route, et sachant que j’ai des heures de ménage qui m’attendent. Je suis déjà dépitée de ce peu de considération. C’est presque humiliant. Au bout de 3 heures je contacte la mairie et leur demande s’ils ont un jeu de clé, les éleveurs n ‘étant pas joignable. Et heureusement, car j’aurai pu attendre encore longtemps, ils ne m’ont rappelé que le lendemain.

J’ouvre la porte, les volets, le robinet. Pas d’eau.

Les travaux sont en cours. L’entreprise qui me dit « ha, on nous avait dit que vous arriviez plus tard » ha ben non, je suis là. Sans eau. Alleeeez, prends ton bidon, va au village.

Bon y a pire dans la vie, je relativise ! Et puis, c’est quand même en cours, ça arrive, ça arrive…

Le véhicule aussi va bientôt arriver… Il l’ont acheté mais faut encore aller le chercher, il est pas dispo. Donc je commence le taf avec ma caisse. Allez, charge et décharge le sel, les piquets, les clôtures et tout , t’as pas le choix de toutes façon.

Les premières vaches arrivent. Au premier déchargement, déjà deux blessées, ça saigne, c’est rouge, y’a les mouches. Je râle « on monte pas des bêtes blessées, moi pour les soigner ici, je leur court après ». Vous montez en alpage un troupeau sain, et on vous rends un troupeau sain. La base.

D’ailleurs la pharmacie n’est pas prête non plus. Reste un fond de bombe de l’an dernier et un vieux shotapen. Par contre j’ai mille seringues, va savoir pourquoi, ça y en a toujours ?!

Ça commence comme ça. A chaque fois, à chaque saison ça commence comme ça putain.

Même quand tu crois avoir (enfin) trouvé un plan correct. Tu arrives, rien n’est prêt, Huit mois sont passés mais rien n’est prêt. Nous, on arrive, ça fait des mois qu’on se prépare. On est là, tout est prêt. On a racheté nos équipements, soigné nos caries, fait des listes, réparé la bagnole pour arriver à temps et à destination, dressé nos chiens, fait nos courses de base… etc…

Et comme chaque fois, au lieu de démarrer autonome et satisfaite, dans les conditions définies ensemble, dans le cadre posé en amont, ben non, on trime. Alors, on appelle déjà, on vous sollicite et çà fait chier. «On est d’accord, le gaz et les croquettes c’est à votre charge ? Non je demande parce que y’en a pas. » On reste dans l’attente de réponses. Vos réponses toujours vagues. Et celle qui revient chaque début de saison « haaa j’peux pas j’ai les foins » Et moi putain, j’ai les nerfs.

Et on connaît la suite : A la fin du mois de Juin, quand on recevra notre premier bulletin de salaire, on vous appellera pour vous dire « y’ a une erreur sur la fiche de paie », et vous nous répondrai « je sais pas c’est pas moi, faut voir avec la comptable », comme d’hab.

Allez, encore une saison à passer.

Chevrière – Mépris de classe

Je travaille sur une ferme, depuis plusieurs années.
Peu à peu, les éleveurs l’abandonnent et soignent les bêtes de plus en plus mal.
Il y a beaucoup de mortalité, beaucoup de boiteuses.
Des charognes laissées sous le fumier et ressorties par un animal qui puent, d’autres plus fraîches qui gonflent en attendant l’équarrissage.

Cette année, alors que je n’ai pas été augmentée suite à l’augmentation du SMIC (je gagne un peu plus), on m’a plusieurs fois dit que je coûtais trop cher, qu’il ne fallait pas que ma journée coûte plus que le foin qui est mis quand je m’absente.

La maison de l’éleveur surplombe la ferme, et cet hiver il s’est fait construire une piscine sur la terrasse.

En ce moment, je travaille au milieu des bêtes mortes dans la poussière et la chaleur, et pendant ce temps lui il se baigne avec sa femme et ses enfants, ses amis qui viennent prendre l’apéro.
Il m’épargne de me saluer, il m’ignore quand il est dans l’eau.

Je coûte trop cher mais le mépris de classe ça n’a pas de prix.