Je garde en montagne tous les étés depuis 5 ans.
Entre la formation, et la recherche de mes premiers contrats, la recherche d’un logement a été compliquée, contrats précaires, revenus modestes, des chiens a loger avec moi… Et pour bosser toute l’année, il faudrait bouger toute l’année.
Comme d’autres, j’ai envisagé l’achat d’un camion. Pour me déplacer au gré des contrats. Mais merde, j’ai déja pas de douche 5 mois sur 12 !
Ou je bosse, il n’y a pas de travail I’hiver. Pas de travail de garde en tout cas. Les brebis ne sortent pas. Le travail de ferme existe, mais en plus d’être très mal payé, il est rare, les volumes horaires sont faibles. Au final ca veut dire travailler 6j/7, pour gagner l’équivalent de mon chômage, lorsque j’y ai droit.
Bien sur, il reste la restauration, les stations de ski… Tout ce qui n’est pas mon métier. Tout ce qui m’oblige a regarder – hiver compris – l’industrie touristique tout engloutir en silence.
J’ai essayé tout ca. J’ai bossé en exploitation. Je suis partie l’hiver pour garder des brebis
ailleurs. J’ai bossé dans le restau du coin. A la fin j’étais toujours aussi pauvre. Pauvre et isolée en prime.
Je pourrais vivre dans un coin moins isolé, pourquoi j’habite ici ? Parce qu’on est a côté de « ma
montagne’. Et moi j’aime bien rentrer a la maison de temps en temps pendant l’estive. J’en ai besoin et je peux le faire parce qu’on bosse a deux. Toutes les deux semaines, je prends 2 jours. Et ca m’aère le cerveau. Sans ca je craque.
Certains collègues ne descendent jamais. C’est souvent parce qu’ils ou elles n’ont pas le choix : si tu
n’es pas remplacé.e, tes repos ne serviront a rien. Quand tu rentreras tu vas prendre trop cher. Autant rester et travailler gratos, Autant repousser ses limites toujours plus loin et mettre ca derrière l’autocollant de la passion.
Tout ca pour dire que j’habite loin de tout. J’habite loin de tout pour tenir bon l’été. J’habite loin de tout pour étre disponible pour mon employeur. Loin de tout aussi parce que le loyer n’est pas cher.
Loin de tout, il n’y a généralement pas de travail l’hiver. Alors les mêmes employeurs, ceux qui ne
me proposent rien, ca les turlupine. Ca turlupine tout le monde. « Qu’est-ce que vous faites
I’hiver? ». Si on parle de chômage, les gens sont d’abord perturbés. Ensuite ils inventent une histoire autour de la « précarité choisie » … Je n’ai rien choisi du tout. C’est aussi parce que l’été me déglingue que je refuse d’en chier autant l’hiver. Si je travaillais dans de bonnes conditions, si on me proposait un travail décent pendant les saisons hivernales, bien évidemment que ca m’intéresserait ! Qui « choisit » de vivre avec 10 ou 12000 euros par an ?
Bref, parmi toutes les choses que jai essayées, il y a aussi « passer I’hiver au chomage ». Une saison, j’ai tenu avec moins de 600 euros par mois. Wow quelle liberté ! Si javais vécu seule je n’aurais jamais réussi. Dans ces cas la mieux vaut ne pas vivre avec un tyran… Parce que « partir » avec si peu
d’argent, c’est du domaine de l’impossible. Je ne vis pas avec un tyran. J’en ai de la chance. Et si ta
voiture flanche, bon courage dans ton trou paumé. De réforme en réforme, et en fonction des hivers précédents, les montants qu’on peut percevoir varient.
L’hiver dernier je gagnais presque 900 euros ! BOUUUUUUUUM ! Je me suis acheté un range
rover direct (non je déconne) !
Le même hiver, on m’appelle : « y a bidule qui cherche quelqu’un”. Bidule il habite dans le même village que moi. A 10 km mais le même village. Moi j’avais déjà plein de plans pour l’hiver. Parce que quand je ne « travaille” pas, je milite. Quitte a bosser gratos autant que ca serve… Donc quand on m’a dit ca, et sachant qu’il s’agissait de bosser 25h semaine au SMIC, je me suis dit « c’est mort ». Le service remplacement m’a relancée. Bidule m’a relancée. Bidule en a parlé a mon employeur actuel (tout le monde se connaît), qui m’a aussi appelée. Et lui il m’a dit – a peu de choses prés – que cette fois j’avais pas d’excuse, qu’il fallait aller bosser. Je lui ai dit “je vais gagner la même chose qu’au chômage” (la bonne réponse était « merde”, mais jai bafouillé). Il m’a soutenu que non, mais il s’en foutait complètement, il voulait juste me voir bosser.
La suite logique c’est de dire a tout ce petit monde daller au diable et de vivre sa vie. Ben vous savez quoi ? J’y suis allée. Je suis allée bosser. J’ai appelé le service remplacement, j’ai vu que je gagnais un peu plus qu’au chômage. Mais le « plus » en fait c’était mes frais de déplacement… La vérité c’est que ce sont la honte et la culpabilité qui m’ont envoyée Ia bas. J’ai pas gagné un radis. Ma bariole a pris des bornes. Je me suis baisé le dos et pourri les poumons avec son foin poussiéreux. J’ai foutu en l’air mes journées pour bosser 4h par jour. Juste parce que dans notre petit coin ou tout le monde sait tout, j’ai pas assumé de dire non a Bidule. J’ai joué mon rôle de petit valet de ferme serviable. J’ai été une gentille fi-fille. Plus jamais. La prochaine fois tant pis, j’encaisserai le mépris. Celui de nos voisins, de nos patrons, de nos collègues parfois…, celui de France Travail. Et le flicage qui va avec.
Soulagée ? Pas vraiment.