Ouvrier d’élevage

Hiver 2007, jeune ouvrier agricole en Aveyron, j’avais 18 ans. Après 3 mois de boulot sur la ferme, je décidais de partir. Quand je dis 3 mois, c’est 3 mois complet sans un seul jour de repos. Car j’avais 18 ans et pas de permis, j’étais logé sur place et j’habitais trop loin pour revenir chez moi.
Sans jamais m’inviter chez eux, mon couple de patron me logeait dans une des vielles dépendances de la ferme et me nourrissaient de roquefort, de saucisse et de pain. Ils me laissaient ce paquet nutritif tous les jours devant ma porte comme on fait a un garçon de ferme d’un autre temps où a un taulard d’aujourd’hui.
Mon job c’était de nourrir les bêtes, les traire matin et soir, puis dans l’intervalle faire des travaux des champs en tracteur, faire du bois où n’importe quoi d’autre pourvu de pourvu de pas être inactif.
Pendant 3 mois l’interaction principale que j’ai eu avec mon patron, c’est lui qui me disait que tout ce que je faisais je le faisais mal. quand bien même c’était des choses qu’il était bien content de ne pas avoir a faire.
Il me disait que même son fils de 3 ans de moins que moi savait mieux faire le job. Mais son fils était pas là parce que c’était un petit con qui s’était barré de la ferme pour faire un internat au lycée. Qu’il était très bon en maths et qu’il voulait partir a la ville… Avec un père pareil tu m’étonnes.
Bref un matin j’en pouvais plus et j’ai dit a mon patron que je partais le soir. Il est tombé des nues tellement j’avais passé tant de semaines a être corvéable a merci.
Le soir en question, pour la première fois depuis 3 mois il m’a fait un sourire et pour la première fois depuis 3 mois il m’a invité a rentrer dans sa cuisine. Il m’a servi un pastis, m’a invité à m’assoir a sa table dans un air bizarrement cordial et m’a demandé combien je voulais de salaire. J’ai été très étonné car j’avais postulé a une annonce ANPE qui parlait de smic et je m’attendais plus a une remise de cheque sans discussion qu’à une négociation autour d’un pastis. J’ai pas su quoi répondre… J’ai parlé timidement de l’annonce et d’un SMIC a 35h (alors qu’en réalité j’en faisais plutôt 60). Il m’a répondu que j’étais pas assez compétent pour me payer comme convenu, et il me proposait de me donner 300 euros par mois. En même temps, sa femme d’une bienveillance indécente me remplissait un sac avec du saucisson, du roquefort et du pain en me disant : « c’est pour la route ! »
Je détestais ces gens mais ils avaient malgré tout réussi à me faire croire que j’étais encore plus un mauvais ouvrier agricole qu’eux étaient des propriétaires et des patrons sans scrupules. Alors j’avais accepté leur deal du haut de ma naïveté.
J’avais la rage. J’avais peut être mal travaillé mais j’avais travaillé quand même.
Je partais de chez eux, traversais la ferme dans la brume nocturne pour rejoindre la départementale et faire du stop pour rallier les 200 km qui me ramenaient chez ma mère, un chèque de 900 balles dans la poche et une boule de 900 kilos dans la gorge. Juste avant d’arriver a la nationale, je croisais le tracteur Landini flanbant neuf qui vallait je sais pas combien de milliers de fois la thune que j’avais en poche. Mais en poche. J’avais aussi un Opinel que j’avais appris a affûter malgré toute la nullité présumé de mes ex employeurs. J’ai crevé un pneus puis j’ai commencé à faire du stop.
Aujourd’hui j’ai 36 ans et je suis toujours ouvrier agricole et je crève moins de pneus, mais malgré tout ce qu’on m’a fait croire je sais ma valeur.
Aujourd’hui je suis toujours ouvrier agricole mais je sais que j’ai plein de potes qui vivent la même chose que moi et qui veulent se battre.
Aujourd’hui on s’organise. on se défend face au mépris et on essaye d’attaquer face a l’exploitation.
Aujourd’hui je suis toujours exploité, mais moins naïf et plus combatif.